Texte : Claude Petit
L’ordre cistercien, voulant revenir à une application plus stricte de la règle de saint Benoît, en opposition à l’enrichissement incarné par Cluny et ses prieurés chez les Bénédictins, adopte des statuts, approuvés en 1119.
L’article XV de la Charte de charité mentionne en particulier les règles concernant la vie matérielle : « Les moines de notre Ordre doivent tirer leur subsistance du travail de leurs mains, de la culture des terres et de l’élevage des troupeaux. Dès lors, il nous est permis de posséder, pour notre usage personnel, des étangs, des forêts, des vignes, des pâturages, des terrains écartés des habitations séculières, et des animaux, excepté ceux qui, d’ordinaire, excitent la curiosité et étalent la vanité plus qu’ils n’apportent d’utilité, tels que cerfs, grues et autres animaux de ce genre. Pour exploiter, entretenir et maintenir tout cela en état, nous pouvons avoir, à proximité du monastère ou au loin, des granges qui seront surveillées et administrées par les convers ».
C’est ainsi que les abbayes cisterciennes vont développer de grands domaines agricoles appelés granges, qui deviendront la base de la prospérité de l’ordre. La plus ancienne grange cistercienne est celle de Saule, près de Cîteaux, fondée vers 1115.
L’établissement d’une grange résultait de l’importance des biens cédés par les protecteurs des abbayes. Lorsque les donations étaient insuffisantes pour la création d’un établissement rural, les biens acquis étaient donnés à cens, c’est-à-dire concédés aux paysans contre redevances (cens, champart), ce qui ne correspondait plus à l’intention des premiers fondateurs.
Dès 1134, des règlements sont édictés pour organiser les granges et en assurer une gestion en accord avec la règle de saint Benoît. Elles ne pouvaient être éloignées du monastère de plus d’une journée, le personnel devant pouvoir s’y rendre chaque dimanche et jour de fête religieuse pour y entendre l’office divin. Elles devaient être distantes l’une de l’autre de deux lieues bourguignonnes (environ 8 km) pour éviter tout conflit. Ces règles nous donnent surtout le fonctionnement idéal, qui fut rarement suivi.
Le nombre et l’importance des granges faisait la richesse de l’abbaye. L’Europe entière, couverte de plus de 700 abbayes cisterciennes, compte probablement plusieurs milliers de granges.
Cependant, connaître leur nombre est difficile, car d’une part, la terminologie est changeante (domaine, château), d’autre part, certaines disparaîtront, transformées en tenures exploitées par des paysans, d’autres seront créées.
L’abbaye de Clairvaux possédait 30 granges, Alcobaça, au Portugal : 29 et Poblet, en Espagne : 27. Dans la région, Grandselve (Tarn-et-Garonne) en comptait 25, Fontfroide (Aude) 24, Obazine (Corrèze) 20 et Dalon (Dordogne) 17. En Rouergue, Bonneval comme Bonnecombe possédaient 14 granges, Sylvanès 10, Loc-Dieu 6 et Beaulieu 4. Alors que la plupart des abbayes de femmes n’avaient pas de granges ou un très petit nombre, l’abbaye de Nonenque contrôlait 8 granges.
En Rouergue les plus anciennes mentions du terme de « grange » semblent être celles de l’abbaye de Sylvanès apparaissant en 1161, Bonneval en 1162 puis Nonenque en 1177 (pour le Mas Andral) et Bonnecombe en 1178.
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